IMAGINE THERE’S NO HEAVEN.
« Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n’y est pas. »
Elle gambadait joyeusement, chantonnant gaiement, dans ces ruelles sombres, à peine éclairées par quelques faibles rayons d’un astre endormi. Elle jouait le coq de sa voix fluette et cristalline dès cinq heures du matin, un sac rempli de lettre en tout genre dans sa main. Il arrivait qu’un gamin qui avait veillé jusqu’au matin pointe son nez et lui crie dessus, l’accusant de le réveiller à cette heure-là, lui qui venait tout juste de s’endormir, quelle coïncidence. Et Meilyn, heureuse d’avoir un interlocuteur, aussi vulgaire soit-il, lui offre un de ses sourires les plus candide pour lui proposer quelques friandises et lui demander son nom. Meilyn. Quinze ans. Scolarisée à domicile pour des raisons inconnues. Meilyn. Petite lycéenne au pas fugace mais inquiétant. Meilyn. Entre innocence et débauche, joie et malheur. Meilyn. Un paradoxe à elle seule.
Et le gamin s’en allait. En marmonnant quelques insultes qui ne faisaient que caresser les oreilles de la demoiselle, lui le petit enfant qui séchait les cours en échange d’une nuit blanche. Lui qui rejetait l’éducation qu’on lui proposait pour perdre sa vie dans des occupations futiles. Il était bien content, de ne pas faire face aux reproches des professeurs, et d’emporter ses amis dans ces mêmes activités. Il était bien content, de refuser ce que Meilyn souhaitait, mais elle était incapable de faire ce vœu, car sa peur la rattraperait, quoiqu’il se passe. Et devant ses parents irresponsables, ce gamin prenait cet air si connu et ridicule de l’enfant effrayé par le désordre de l’extérieur. Un attentat à Sydney. Comme s’il pourrait être désigné victime, lui, petit être insignifiant. Et ainsi il échappait à l’école.
C’était dans cette idée-là, l’idée d’être une personne parmi tant d’autre, que Meilyn se comportait comme à son habitude.
Ce n’était pas de l’insouciance pure. Enfin, si. Mais on ne peut pas lui reprocher ce comportement frivole. Elle refuse d’admettre la vérité. Elle refuse de croire à la réalité. Elle préfère ce monde idyllique qu’elle s’est crée jusque-là. Parce que dans ce monde, ce monde de petit poney qui chie des arcs-en-ciel, même le chaos n’est que rêve. Un désastre peut tomber, Meilyn s’inquiétera à peine. La pire chose qui pourrait lui arriver serait d’être enfermée seule, isolée, sans personne. Sans aucun être vivant. La demoiselle ne pourrait même plus sonder de ses prunelles ces petites choses qui abritent une âme, un esprit, une vie. Quoique, même sans être vivant, elle serait capable de s’abattre dans la communication avec les objets.
Sa folie l’aiderait à exister.
Mais es-tu vraiment la plus folle ?
N’existe-t-il pas plus fou que toi ?
Existe-t-il une folie saine et malsaine ?
Quelle est ta véritable définition de « folie » ?
Ces petites pensées, ces petits raisonnements lugubres flottaient dans son esprit. Elle entendait sans cesse sa conscience lui parler. Elle s’imaginait sans cesse un discours avec elle-même. Et pourtant, son enveloppe charnelle ne semblait pas vouloir se modeler selon ces pensées. Et cela ne lui déplaisait en aucun point. L’image d’une enfant envahie par une gaité folle n’est pas mauvaise, pour ne pas dire qu’elle est bonne.
« Si le loup y était, il nous mangerait. »
Une main vint se déposer sur son épaule. Froide, grande, féminine. Une voix la tira de ses songes. Une lame apparut. Un sabre la menaça. Ce regard ne manquait aucunement de sa candeur. Un voile d’étonnement s’était abattu dessus, tandis qu’il se fixait sur le visage de son interlocutrice. Une silhouette gracile, pour des gestes sinistres. Un délicat minois, pour des pensées peu lucides.
Pourquoi tant d’artifices pour quelques questions ?Son esprit ne pensait plus. Vide. Des souvenirs lui revenaient en mémoire. Des souvenirs qui dataient d’une période révolue. Celle où l’école était encore une de ses activités principales. Mais cette voix, douce et tendre balaya ces images qui s’étaient brièvement installées. Et Meilyn, entendant son nom résonner, cette appellation qu’elle adorait, revint à elle-même. Retour de la cinglée, attachez vos ceintures et admirez, mes agneaux. Admirez son comportement habituel, légèrement changé, à cause de ce souvenir. A cause de ce sang qui coulait maintenant dans sa paume, mêlé à celui de son interlocutrice. Son cerveau n’avait encore pas capté cette douleur. Peut-être par que la demoiselle refusait de la sentir. Peut-être parce qu’elle ne la sentait pas. Peut-être parce que ce liquide rougeâtre avait dores et déjà attiré son attention.
Elle s’approcha. Elle leva sa main à son visage, tout en emportant celle de cette jolie rousse. Et sa langue vint savourer le goût. Regard innocent. Comme un enfant qui venait de voir, pour sa première fois, ce fluide qui coulait tous les jours dans ses veines, son cœur palpitait, à l’idée de goûter cette nouvelle saveur, mais aussi de vivre un danger.
La demoiselle aurait pu l’insulter. Elle était capable de sortir une insulte longue de quelques kilomètres en un seul souffle, et je crois que cette réaction aurait été plus normale.
« Tu sais que le sang est salé ou sucré selon les gens ? Le mien est sucré. Le tien aussi. Parce que le mélange des deux le rend encore plus mielleux. »
Un sourire. Et sa langue vint lécher les quelques gouttes autour de ses lèvres.
« Toi aussi, tu aimes les friandises ? Je veux bien te suivre si tu m’emmènes quelque part qui n’en manquera pas. »
Ces sucreries étaient sa drogue, sa passion. Petite gourmande. Petite imbécile. Petite insouciante. Petite vampire. Tu étais contente, parce que ton sang n’était pas assez sucré à ton goût. Et grâce à cette nouvelle apparition, il est devenu délicieux, n’est-ce-pas ? Tu avais peur pour un rien. Et là, alors qu’on t’a cisaillé la main, alors que ton sang coule à flot, alors qu’elle risque de te vendre dans les Himalaya, alors que tu risques d’être pauvre et mal nourrie pendant le restant de tes jours, alors qu’elle t’enverrait peut-être en Afrique, alors que cette femme dangereuse était intéressée par toi, ton cœur battait fort. Fort à en rompre ta cage thoracique, à cause de cette joie folle qui t’envahissait soudainement, tu jouissais. Tes yeux disaient « Vite. Emmènes-moi. Fais ce que tu veux. Mais je t’en prie. Brise la monotonie de ma vie. »
« D’ailleurs. Je suppose que tu m’as suivie non ? Que tu t’es intéressée à moi, non ? Mais mon corps jubile de cet intérêt. Alors je capte pas pourquoi les autres ont peur. Vraiment. »
Et puis avoir le courage de te suivre dès six heures du matin, c’est quelque chose franchement. Mais tu devrais t’inquiéter de ce qu’elle va te demander, petite chose.